Citation : "L’art a dû commencer comme la nature elle-même, dans une relation dialectique entre les êtres humains et le monde naturel dont nous ne pouvons être séparés". Ana Mendieta
Malgré une carrière relativement courte (de 1971 à 1985) l'artiste cubano-américaine Ana Mendieta (La Havane, 1948-New York, 1985), internationalement reconnue et exposée ne l'avait pas été jusqu'ici en France, alors qu'elle s'inscrit en pionnière dans l'avènement des arts visuels d'après guerre, dont l'influence ne cesse de se mesurer sur les générations suivantes. L'exposition que lui consacre le Jeu de Paume est donc une première d'autant plus que l'accent est mis sur ses oeuvres filmiques (104 recensées) à partir de travaux de recherche inédits entre l'Estate of Ana Menieta, Collection, la galerie Lelong &Co et l'Université du Minnesota. Au total ce sont 20 films, dont 6 inédits ayant bénéficié de restauration et près de 30 photographies qui sont proposées dans une approche thématique, soit le plus vaste ensemble jamais réuni.
Jetant les prémices d'un écoféminisme radical aux frontières de la sculpture, de la performance et du land art, elle arrive, par une grande économie de moyens à dépasser les catégories et pratiques en vigueur à partir de son vécu douloureux de l'exil et de la perte quand elle fuit Cuba avec sa sœur, laissant ses parents derrière elle à l'âge de 12 ans. De plus, sa mort accidentelle et prématurée du 34ème étage de l' immeuble new yorkais de son mari, le sculpteur Carl Andre, lui confère un véritable statut d'icône.
Si elle est imprégnée des mouvements artistiques de son époque (minimalisme, body art..) ,elle invente néanmoins son propre système de valeurs (earth body) et de croyances autour de mythes antiques, rituels de passage, mémoire et souvenirs.
Après avoir usé de son propre sang dans des actions violentes suggérant le viol ou des crimes faits aux femmes (Blood Sign, Blood Inside Outside et Sweating Blood), elle se lance dans son corpus le plus célèbre, la série "Silueta" réalisée au Mexique, où elle va chaque été à partir des années 1970, sur le site antique de Yàgul.
Le sang mais aussi le feu, l’eau et la terre sont convoqués dans un désir de fusion avec les 4 éléments lors d'actions en plein air documentées par des films où il est question d'empreinte, de recouvrement ou d'ensevelissement à partir de matériaux naturels récoltés : fleurs, plumes, herbe, qui renvoient aux cultes primitifs de la fertilité. Bientôt la "silhouette" tend à se substituer au corps même de l'artiste grâce à l'action de l'eau, comme dans "Creek" jouant sur les reflets de surface ou "Silueta de Arena"(1978).
Le feu endosse aussi ce potentiel métaphorique dans des effets puissants avec "Volcan" ou "Untitled: Silueta Series" de 1979 réalisé dans une grotte qui annonce le cycle des Sculptures rupestres (Esculturas Rupestres) qu'elle mènera à Cuba.
Un autre thème de prédilection de l'artiste est l'arbre de vie qu'elle pare volontiers d'une dimension onirique et spirituelle comme dans "Silueta de Cohetes"(Firework Piece) où la silhouette va jusqu' à flotter dans l'espace avant qu'un grand feu ne la consume. Faire corps avec la terre, faire corps avec l'arbre, participer à l'ordonnancement du monde, autant d'obsessions qui la traversent liées à la fuite du temps et des liens, la présence et l'absence, le fragile et l'éphémère mais aussi le sacrifice et la mort (la silhouette devenant gisant).
Cette quête de sens et d'origine par le rituel aboutit à une mise en tension finale (n'oublions les circonstances de sa disparition inexpliquées) à partir de 1981 avec le retour à Cuba pour tenter une possible catharsis et réparation. Une nostalgie pour cette terre natale qui parcourt les films tournés sur des plages ou dans la grotte du site archéologique de Jaruco.
Ainsi de son expérience intime elle tisse la trame d'une histoire universelle faite de déracinement et de combats, de discriminations et quête identitaire, pulsions de vie et pulsions de mort, mêlant paganisme cubain, culte du Vaudou et traditions catholiques. Tout comme Francesca Woodman qui partage avec elle un destin tragique et dont le corps finissait par se fondre dans le décor de ses autoportraits photographiques, Ana Mendieta a cette faculté de nous envouter et d'interpeller notre conscience au monde. Un message vibrant et dont l'impact ne faiblit pas. Hommage aussi légitime à l'une parmi d'autres artistes volontiers esquivées dans le récit officiel au profit de son compagnon, que décisif face aux défis qui nous incombent.
En parallèle l'exposition dédiée à Dorothea Lang, co-produite par le Jeu de Paume, Paris, et la Barbican Art Gallery, Londres. Autre grande figure féministe et pionnière.
Infos pratiques :
Ana Mendieta
du 16 octobre au 27 janvier 2019
Jeu de Paume
place de la Concorde, Paris
Catalogue édition française, 272 pages, 55 € (en vente à la librairie)