En préambule à Paris Photo et son florilège d'instantanés de haut vol, l'anglo-américaine Cig Harvey vient de recevoir le prestigieux Prix Virginia 2018 pour sa série "You an Orchestra You a Bomb".
"La photographie est un microscope qui permet d’observer le monde"
C'est à la suite d'un accident de voiture qu'elle prend conscience encore d'avantage de la précarité de l'existence et des liens. Un sentiment de perte qui imprégnait déjà d'autres séries même si l'effet de cette bombe agit comme un détonateur ici. Alors que son exposition à l'espace Oppidum vient de se terminer on peut retrouver la photographe lors d'une promenade chez Gustave Caillebotte.
Orangerie, kiosque, volière…Passer un après-midi à la propriété Caillebotte (Yerres, Essonne) c’est se retrouver hors du temps dans une propriété de famille du XIXème siècle avec son parc « à l’anglaise, son chalet suisse aménagé par Martial le frère de l’artiste, un potager et une ferme Ornée consacrée à présent aux expositions temporaires. Ainsi les passions de Gustave s’organisent dans cette villégiature proche de Paris où il s’adonne au bonheur de la peinture et du cabotage avec Martial qui pratique la photographie devenant l’un des reporters de la grande bourgeoisie du Second Empire. Plus tard après le décès de leur mère et la vente de la propriété, les deux frères s’installent au Petit Gennevilliers attirés par le Cercle de la Voile de Paris. Gustave se tourne alors vers une nouvelle période de son existence marquée par la voile et les régates de haut niveau, le conduisant à développer des inventions majeures dans le yachting. Toutes ces facettes sont retracées dans le parcours de visite de la maison Caillebotte restée dans le pur esprit de l’époque.
Alors que peuvent bien venir faire les tirages noir et blanc résolument vintages des époux new yorkais Sondra Gilman et Celso Gonzalez-Falla dans un tel écrin ?
Une histoire de rencontres comme souvent et c’est par Tatyana Franck, directrice du musée de l’Elysée de Lausanne que nait le projet, repris par l’équipe de Yerres. Epaulée par Pauline Martin conservatrice, elles imaginent le prisme de la ligne pour dérouler le parcours et faire un choix parmi les 1500 chefs d’œuvre des XX et XXIème siècle du couple. Un parti prix qui s’est imposé comme le souligne Marc Donadieu, nouveau conservateur, face aux critères d’exigence du couple qui n’hésite pas à attendre vingt ans pour acquérir certains tirages comme « Saratoga Springs » de Walker Evans ou « Unmade bed » d’Imogen Cunningham. Ils ont pour principe de se décider ensemble, sauf rares exceptions. Sondra à la suite d’un véritable coup de foudre pour Eugène Atget, demande au conservateur du MOMA de l’époque, John Szarkowski de l’initier au medium, avant de rencontrer Celso Gonzalez-Falla son partenaire à la ville comme sur la scène des grands collectionneurs. Il la rejoint dans l’aventure pratiquant lui-même ce medium et achètent leur première pièce ensemble, un Mapplethorpe exposé dans le parcours. C’est chez eux dans l’élégante demeure de l’Upper East Side qu’ils aiment convoquer leur collection chaque année dans leur escalier vertigineux.
« La beauté des lignes », quoique classique, dégage une force visuelle. Elle s’ouvre sur les 3 tirages d’Atget, le déclencheur de l’aventure, acquis pour quelques 250 dollars chaque à l’époque (!), mais on découvre aussi Rineke Dijkstra, Stéphane Couturier ou Loretta Lux comme pour illustrer que la recherche de cohérence n’empêche pas de se laisser guider aussi par l’intime et l’émotion. De la ligne droite verticale de l’Empire State Building par Lewis Hine avec cet ouvrier funambule à l’échafaudage de bambous en Chine d’Edward Burtynsky, on documente ce réel qui dérange, on glorifie l’exploit avec le pont Washington à New York de Margaret Bourke-White, quand les lignes d’horizon post-romantique chez Sugimoto, s’opposent à une certaine froideur chez Robert Adams ou Lewis Baltz (les new topographs). On est au coeur de l’humain même si la ligne s’efface devant le jeu des regards, des verticales se dessinent avec Leon Levinstein qui se focalise sur des détails anatomiques ou Berenice Abbott dont l’autoportrait est rapproché du portrait de sa mère par Alexandre Rodtchenko. Inquiétante étrangeté chez Cig Harvey confronté à l’intérieur domestique et dissonant de Julie Blackmon. Des trouvailles de l’accrochage !
A l’étage, place aux abstractions avec Aaron Siskind, Minor White, l’italien Augusto Cantamessa, le cubain Abelardo Morell (Book with Wavy Pages) ou plus récemment Alison Rossiter (expérimentations de lumière), Candida Höfer et Barbara Kasten.
Puis, ce sont les courbes voluptueuses de la nature ( Karl Blossfeld, Vik Muniz,Mark Klett, Edward Weston, Bill Brandt..) et du corps : Erotique voilée de Man Ray, lignes du danseur Bill T Jones de Mapplethorpe, corps d’homme noir sur cheval blanc de Laurent Eli Badessi, athlète revu et corrigé par Andres Serrano.
C’est avec le portait de Sondra par Andy Warhol (1988) qui clot ce panorama que l’on prend la mesure de la personnalité de cette collectionneuse, de son rapport aux images, ses « babies » comme elle les appelle.
Qu’elle se rassure, elles sont à la propriété Caillebotte bien choyés !
Catalogue aux Editions Noir sur Blanc/l’Elysée Lausanne, en vente à l’espace librairie de la Ferme Ornée et Maison Caillebotte.
Au 1er étage de la Ferme Ornée à découvrir également la photographe Isabella Gherardi, « Jardins intérieurs ».
Pour les amateurs de peinture, ne manquez pas lors de votre déambulation bucolique, à l’Orangerie, l’exposition du suisse Robert Wehrlin (1903-1964), encore méconnu en France.
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