Céline Kopp et Etienne Bernard, les Ateliers de Rennes 2018 @Aurélien Mole.Pauline Boudry / Renate Lorenz, I WANT, 2015.
La réponse d'Etienne Bernard, directeur de la Passerelle à Brest et Céline Kopp, directrice de Triangle France à Marseille, à l'invitation d'Art Noirac (Bruno Caron) pour cette 6ème édition de la Biennale offre un panorama international d'une trentaine d'artistes de tous horizons qui aiment à bousculer et opérer des cassures dans l'ordre établi. Le choix du titre difficilement traduisible "A cris ouverts"ouvre un débat sur la notion de valeur, de non conformité, de transitions imprévisibles d'où peut naitre un possible enchantement, comme avec ce choix graphique de Jean-Marc Ballée, radicalement fort. Si des modes alternatifs existent, il s'incarnent au quotidien dans des actions de refus et d'autres circuits économiques que l'hégémonie capitalistique. L'occasion de découvrir des artistes peu montrés en France appartenant à la mouvance américaine activiste où il est question du corps, de l'altérité, de genre, de la conquête des droits civiques, des minorités visibles. D'autres artistes européens et au-delà, plus jeunes y répondent dans un registre toujours singulier autour de la désynchronisation du langage, du collage sonore et visuel, de l'ailleurs, du "wildness" (sauvage).
En entrant dans la Halle de la Courrouze, l'univers de Julien Creuzet jaillit, tendre et corrosif à la fois, dégageant toujours une forte charge imaginaire dans un phrasé qui lui est propre aux confins des Caraïbes à l'heure des rencontres Tinder. Une nouvelle installation où le toxique rencontre la nature, le rebus, la fulgurance des mots. Y répond l'ensemble d'objets de Jesse Darling (GB) qui trace une sorte de ligne de démarcation, entre la guirlande festive et le linge en train de sécher. Artefacts précaires flottant dans l'atmosphère face aux toiles de la plus jeune artiste des Ateliers, la surdouée Kudzanai-Violet Hwami (Zimbabwe) aux influences bibliques et Afro Punk. Ses collages digitaux peints d'une grande force à partir de portraits de sa famille défient l'identité et le genre. John Akomfrah (Ghana) fondateur du Black Audio Film Collective, avec "Mnémosyne" entremêle les figures mythologiques des muses aux images d'archives des immigrants d'après guerre à un rythme hypnotique ! Anne Le Trotter dans une installation froide et anxiogène nous fait pénétrer dans une banque de sperme américaine privée suite à son enquête auprès de cette firme dont elle décortique des rouages. Elle a reconstitué la voix des employées décrivant le physique et le caractère des donneurs dans le but de compléter leur portrait anonyme. Une plongée dans la commercialisation de nos désirs à l'heure où la PMA attise encore des débats passionnés en France.
Au Frac Bretagne, sur les 3 niveaux, on commence avec Virgil Fraisse et son nouveau volet SEA-ME-WE 3 (South East Asia-Middle East-Western Europe) cette parabole poétique d'un câble sous-marin de fibres optiques et les êtres qu'il relie. Richard Baquié de nouveau présent avec "Traversée du Présent" et ce rapport à l'objet si singulier de l'ancien soudeur, venu tardivement à l'Ecole des Beaux Arts de Marseille. C'est avec l'artiste Senga Nengudi (USA) que l'on replonge dans le contexte social et politique de Watts au lendemain de la rébellion de 1965, terreau de l'activisme intellectuel et artistique. Elle teste les limites de matières naturelles mises en tension avec des membranes synthétiques de collants usagés. L'élasticité du corps reflète alors la résilience de la condition féminine. Barbara McGullogh également affiliée à Watts deviendra l'une des figures majeures de la "L.A. Rebellion", mouvement des jeunes cinéastes noires issu de l'université d'UCLA. Son film "Water Ritual #1 : an urban rite of purification"tourné dans un secteur abandonné de Watts le long d'un autoroute avec la performeuse Yolanda Vidato qui improvise des rituels symboliques au milieu des ruines. Mierle Laderman Ukeless (USA) se penche sur les difficultés rencontrées par les éboueurs de New York à qui elle écrit une lettre en 1979 et photographie avant d'entreprendre une série de cartographies de la ville autour des trajectoires empruntées par les camions poubelles. Un circuit invisible autour de la maintenance. Wu Teng (USA) s'intéresse aux formes de communication non verbales et tisse une poétique du corps noir, queen et trans avec le film expérimental, "We Hold Where Study" qui joue sur les oppositions et la logique "d'enchevêtrement".
Au musée des Beaux Arts, nous sommes accueillis dans le patio par les totems de Kenzi Shiokawa brésilien installé à Los Angeles fortement imprégné du climat de lutte pour les droits civiques de Watts. Cette expérience collective à cicatriser va le guider dans son entreprise réparatrice de l'assemblage comme avec ces figures shamaniques silencieuses d'une grande spiritualité. En regard les images dégradées par le passage du temps de Basim Magdy (Egypte). Sonia Boyce (GB), associée aux Black Women Artists, artistes afro-caribéennes vivant en Angleterre, s'attache aux questions de colonisation et de représentation du corps féminin noir. Elle a développé un projet spécial avec les étudiants de l'Ecole Supérieure d'Art de Bretagne au sein des collections du musée le temps de la Nuit des musées. La restitution sous forme de vidéo illustre le côté non linéaire et performatif de l'expérience. Corita Kent (USA), "Sister Corita" entrée dans les ordres à 18 ans, ne rentre dans aucune case. La "none du Pop art" dans une logique d'émancipation laisse les couleurs exploser tout en choisissant des figures désobéissantes tel le philosophe anti-esclavagiste Henry David Thoreau. Raymond Boisjoly (au Frac également) travaille le rapport texte et image, le discordant, à partir de son ascendance amérindienne haïda et québécoise. Il a réalisé une nouvelle production assez impressionnante "Between and Beyond" où les mots s'émancipent en grandes lettres vinyles incohérentes.
Petit détour par la galerie Art& Essai au sein de l'université pour découvrir l'installation et la performance de Paul Maheke autour de la dimension fluide et cosmologique de la mémoire.
40mCube dans ses nouveaux locaux accueillent le duo suisse Pauline Boudry et Renate Lorenz avec le film "I Want"autour de la fétichisation du désir et de séquences queer effacées de l'histoire.
A ne pas manquer enfin au Phakt-centre culturel Colombier, l'artiste franco-algérienne Katia Kamedi qui retrace les origines indiennes des Fables de la Fontaine, qui continuent d'être réinterprétées en fil des échanges et particularismes régionaux comme avec la voix de ce traducteur breton.
Eclectiques et généreux, ces Ateliers/Biennale portés par deux approches très complémentaires, vous invitent à une déambulation où les surprises sont au rendez-vous, loin des diktats habituels du marché.
Prochain temps fort :
Le Rennes Art Week-end du 15 au 18 novembre où les 10 lieux (dont Brest et Saint Brieuc) agiront de concert illustrant cette formidable synergie bretonne.
Infos pratiques :
A Cris ouverts, 6ème édition
jusqu'au 2 décembre
Les 10 lieux partenaires :
http://www.lesateliersderennes.fr/