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Fiona Tan ou les paradoxes de la mémoire et de l'identité

par Marie de la Fresnaye 10 Août 2016, 09:16 Video International

© Fiona Tan.
© Fiona Tan.
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© Fiona Tan.

C'est à la relecture de la "Jeune fille à la perle" de Tracy Chevalier que je me replonge dans l'exposition fascinante de Fiona Tan découverte cet été au MUDAM du Luxembourg. Ce roman d'apprentissage dans la Delft de Vermeer d'une retenue toute en sensualité fait écho avec l'installation qui ouvre le parcours "Nellie",tournée au musée Van Loon d'Amsterdam autour de la fille illégitime de Rembrandt Cornelia van Rijn partie émigrer avec son mari le peintre Cornelis Suythof en 1671 dans la colonie hollandaise de Batavia en Indonésie où elle mourra. La lumière du jour par la fenêtre, le costume du XVIIè qu'elle porte, le papier peint d'inspiration exotique, les sons des oiseaux et de la nature luxuriante tout concourt à une transposition spatio-temporelle, de même que les soupirs et râles de cette jeune femme malade et oubliée de la grande histoire européenne. Son destin ne pouvait que retenir l'intérêt de Fiona Tan née en Indonésie d'un père sino indonésien et d'une mère australienne qui effectuera à son tour la traversée de Cornelia. Chez elle les questions d'identité sont intrinsèquement liées à son vécu personnel. D'ailleurs pour la Biennale de Venise où elle représente les Pays Bas en 2009 elle choisit de montrer une installation appelée "Disorient" un sentiment que nous ressentons assez vite au fil des salles dans ce qui ressemble vite à un labyrinthe. Le film, la video et la photographie sont les matières premières qu'elle combine à la recherche de possibles associations comme le ferait une anthropologue. Des spéculations contemporaines à la manière des portraits de l'âge d'or flamand.

Formée à la prestigieuse Rijksakademie elle a pu continuer ses pérégrinations tout en bénéficiant d'un ancrage aux Pays Bas. Ainsi elle s'est rendu pendant 5 ans sur l' île suédoise de Gotland pour y filmer 15 paires de jumeaux projetés sur 2 écrans (Diptych) à des périodes différentes de leur existence. Leur posture volontairement statique confère un aspect troublant entre présent et futur, documentaire et fiction. Comme le souligne le philosophe Paul Ricoeur l'acte de mémoire est une capacité à reconvoquer le passé pour se définir (La Mémoire, l'Histoire, l'Oubli). Une narrativité identitaire qui devient poétique avec Fiona Tan à travers ses "lettres visuelles" terme que le commissaire Christophe Gallois cite à propos de Chantal Akerman et son influence sur l'artiste dans son excellente contribution au catalogue (prolongement indispensable à l'exposition). Ainsi pour "The Challenging", "Island" ou "A Lapse of Memory" où les liens entre le cinéma et la mémoire sont magnifiés par des réminiscences subtiles. Penchons nous sur cette dernière installation tournée à Brighton dans un palais éclectique construit pour le roi George IV habité par un homme Henry atteint de démence sénile plongé dans des rituels zen tandis qu'une voix off retrace l'histoire d'un de ces ancêtres potentiels grand voyageur parti à l'Est. La confusion résulte de cette instabilité de la mémoire. La métaphore : un lieu confiné qui devient une extension du monde est également à l'œuvre dans "Inventory" tournée au musée de l'architecte Sir John Soane de Londres parmi les nombreux objets disparates de sa collection (colonnes, bustes, céramiques..), fragments post coloniaux d'une suprématie de la culture occidentale. Un monde en soi.

Puis brusque retour au présent avec les séries "Vox Populi" au départ résultant d'une commande pour le Parlement d'Oslo "Vox Populi Norway" (2004) bientôt suivi de Vox Populi Sydney, Tokyo et London plus récemment. Des images intimes anonymes qu'elle collecte et assemble de façon non linéaire. Un accrochage d'apparence conceptuelle mais totalement empirique où le subjectif se mêle au générique, l'archive à l'empathie, l'individuel au collectif, l'étrange au familier dans un chaos maîtrisé. Et c'est là tout le secret de cette citoyenne du monde fascinée par la temporalité et ses méandres et notre relation aux images. A ne manquer sous aucun prétexte lors de votre visite de Wim Delvoye ! Un petit bijou tout en contraste avec le gigantisme tapageur du flamand, qui mérite que l'on s'arrête et prenne le temps à la façon des maîtres zen.

Infos pratiques :

Fiona Tan

Geography of Time

MUDAM

Last days !

jusqu'au 28 août 2016.​

Commissaires :
Christophe Gallois

Eva Klerck Gange

Itinérance :

L’exposition Fiona Tan, Geography of Time est organisée en collaboration avec le National Museum of Art, Architecture and Design d’Oslo, le MMK Museum für Moderne Kunst, Frankfurt am Main et le Tel Aviv Museum of Art.

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